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updated 8:29 AM UTC, May 6, 2024

Paul Hinder, un évêque pasteur de migrants en Arabie

La vie de l’Église du Golf dans l’entrevue avec le Vicaire apostolique des Émirats arabes unis, du Yémen et d’Oman.

CRISTINA UGUCCIONI

ABU DHABI

« Je me vois premièrement comme pasteur de migrants. » C’est ainsi que se définit l’évêque suisse, Monseigneur Paul Hinder, 76 ans, de l’Ordre des Frères Mineurs Capucins. En 2005, il a été nommé Vicaire apostolique d’Arabie, un très vaste territoire comprenant le Yémen, Oman, l’Arabie saoudite, le Qatar, Bahreïn et les Émirats arabes unis. En 2011, ce vicariat a été divisé : Bahreïn, le Qatar et l’Arabie saoudite ont été agrégés au Vicariat du Koweït (désormais appelé Vicariat de l’Arabie septentrionale), alors que le Yémen, Oman et les Émirats arabes unis constituent maintenant le Vicariat apostolique de l’Arabie méridionale.   C’est ce vicariat qui est sous la houlette de Monseigneur Hinder. Sur ce territoire, les catholiques, tous des étrangers, sont environ un million. Ils sont présents surtout dans quelques secteurs d’activités (construction, éducation, services et travaux domestiques), provenant d’une centaine de pays différents : en majorité des Philippines, de l’Inde et autres pays asiatiques. On y retrouve aussi un bon nombre de fidèles de langue arabe (arrivés le plus souvent du Liban, de la Syrie et de la Jordanie). Depuis quelques années se voit une augmentation significative de catholiques d’origines africaine, européenne et américaine. L’Évêque Hinder, résidant à Abu Dhabi, est l’auteur du livre « Un évêque en Arabie. Mon expérience avec l’Islam ». Dans cette conversation avec Vatican Insider, il raconte la vie de l’Église du Golf, une Église « de migrants et pour les migrants ».  
 
Dans votre Vicariat la liberté religieuse est limitée : quelles limites doivent respecter les communautés catholiques dans les différents pays?  

« Les constitutions de ces pays déclarent l’Islam comme la religion d’État et indiquent la sharia comme principale source de la loi. Les autres religions sont tolérées et peuvent avoir des lieux de culte : ainsi l’Église Catholique dispose de huit églises (paroisses) dans les Émirats arabes unis et quatre dans le Sultanat d’Oman. Nous sommes actuellement en train de construire la neuvième église (paroisse) dans la région occidentale de l’Émirat d’Abu Dhabi. Pour ce qui est de la République unie du Yémen, la vie pastorale est paralysée par la guerre. Bien qu’il n’y ait pas vraiment de limitations à l’ornementation, il est sévèrement prohibé d’avoir des signes religieux visibles de l’extérieur. Nos lieux de cultes sont généralement en des endroits retirés. Les conversions de l’Islam à une autre religion sont rigoureusement interdites. Le culte doit se faire seulement aux endroits désignés par les différents gouvernements. Il en va de même pour les assemblées à caractère religieux; elles sont acceptées seulement dans les édifices mis à notre disposition dans ce but. Entre ses limites, nous sommes libres d’exercer notre charge pastorale ».
 
Quelles sont les limites les plus difficiles à accepter?   

« Ce qui est généralement le plus difficile à accepter est le peu de temps disponible sur lequel nous pouvons compter : nous avons de la difficulté à organiser tant la catéchèse que les horaires des célébrations eucharistiques dès que le nombre de fidèles est élevé et continue à augmenter de façon soutenue ».
 
Dans le livre à paraître bientôt vous écrivez que la vie dans le Golf « peut être une vie marginale ou en périphérie de différentes façons » : lesquelles?  

« Celui qui se rend dans le Golf pour y travailler doit être conscient que, contre toute attente, il n’y trouvera pas la poule aux œufs d’or. Ici, on vit dans le provisoire tant pour le travail, qui peut être perdu à n’importe quel moment, que pour l’obtention du permis de travail. Celui-ci est octroyé pour deux ou trois ans, maximum. De plus, bien que dans le Golf le style de vie soit semblable à celui de l’Occident, nous sommes dans un contexte culturel et religieux qui nous demeure étranger. En ces pays, l’intégration des étrangers n’est pas désirée ni acceptée. La société des migrants est une société parallèle et donc en ce sens, "marginale ou en périphérie" ».
 
Quelle est actuellement la situation au Yémen?  

« C’est dramatique! Mais il est difficile d’avoir une idée précise, car je ne puis encore entrer dans ce pays. Une chose est certaine : la majorité de la population (27 millions de personnes) est victime de souffrances causées par la guerre, les maladies et la malnutrition. Le nombre de chrétiens, qui a toujours été peu élevé, est drastiquement diminué. Actuellement, à Sanaa vivent dix Missionnaires de la Charité qui se donnent tout entier pour servir les plus pauvres, mais il n’y a plus de prêtres dans le pays et les lieux de cultes ont été détruits ou rendus inaccessibles. Les quelques fidèles qui demeurent encore là sont privés de soins pastoraux. Quand y aura-t-il une trêve et une paix durable? Personne ne le sait ».  
 
Dans votre vicariat quelles formes prend le dialogue interreligieux en lequel vous croyez beaucoup?   

« Je considère le dialogue entre les religions comme un des facteurs décisifs pour le développement du monde. Celui avec l’Islam est une voie obligée : je le retiens nécessaire, même s’il n’est pas facile. Les obstacles à celui-ci ne manquent pas! Dans le vicariat, des congrès sont occasionnellement organisés par des institutions musulmanes. À ceux-ci s’ajoutent des évènements qui impliquent toutes les Églises chrétiennes où le Saint-Siège joue un grand rôle par le truchement du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux. Probablement que le modèle de dialogue le plus signifiant est celui qui a lieu lors de rencontres personnelles : je pense, par exemple, à ceux que j’ai lorsque je rencontre des représentants du gouvernement (c.-à-d. le Ministre des Affaires religieuses), avec des professeurs d’université ou des musulmans que je fréquente et qui sont des amis proches. Je suis convaincu que le dialogue le plus fructueux est celui qui nait dans les rapports personnels, qui se tissent jour après jour : bien entendu, les rencontres institutionnelles dans les hautes sphères sont utiles et nécessaires, mais elles courent le risque de devenir trop formelles ».
 
Pourquoi dites-vous que Abraham est « une grande source d’inspiration pour les chrétiens du Proche-Orient»?  

«Abraham est considéré comme le père des trois religions monothéistes et se veut un important point de référence commun bien que les trames narratives de son histoire divergent d’une religion à l’autre. Abraham a quitté sa patrie et expérimenté la présence et la sollicitude de Dieu. Par son acte de foi et son courage, il accompagne et met au défi l’Église : pour plusieurs migrants, Abraham est un signe d’espérance et un guide ».

Comment vos fidèles vivent-ils la célébration eucharistique?  

« Généralement avec une grande foi et une attention admirable. Chaque jour, des milliers de fidèles prennent part à la messe. Durant la fin de semaine, les églises sont bondées comme il m’a rarement été donné de voir en Europe ».  

À propos de l’Église du futur, vous affirmez : « Je pense que nous pourrons contribuer à la réflexion grâce à nos nombreuses expériences. Je crois que sur quelques thèmes nous sommes plus avancés, à notre façon, que les communautés et diocèses européens ». Que pensez-vous que l’Église de votre vicariat apporte comme don à toute l’Église?   

« Je retiens que le fait d’être une Église de migrants nous confère un caractère spécial et peut-être même prophétique. Nous pouvons témoigner comment vivre la foi courageusement dans un contexte non chrétien : ici, les fidèles catholiques ne cachent pas leur appartenance religieuse, ils n’ont pas peu de montrer ce qu’ils sont et ce en quoi ils croient. Ils sont respectueux de la foi des musulmans, sans être craintifs. Leur courage est un courage humble. Peut-être sont-ils stimulés, d’une certaine façon, par les musulmans eux-mêmes qui n’ont pas peur de montrer leur appartenance religieuse. Le courage manifesté par nos communautés peut, je pense, servir d’exemple : en Europe, les chrétiens semblent parfois avoir honte de leur foi. De plus, le fait d’avoir un nombre limité de prêtres (65 pour un million de catholiques) amène une centaine de laïcs à s’engager beaucoup plus comparativement à ce qui se fait en Europe. Sans l’engagement gratuit et généreux de ces fidèles, notre Église n’aurait pas la vitalité que nous lui connaissons. Pour nous, l’expression "la joie de l’Évangile" n’est pas une formule creuse, mais la réalité vécue. Devoir compter sur des structures relativement faibles et très souvent provisoires garantit d’un côté une plus grande flexibilité et de l’autre se veut un défi permanent : il n’est pas facile de maintenir l’unité et une communion profonde entre des fidèles de nationalités, cultures, langues et rites divers. IL me semble pourtant que l’effort quotidien fait pour cela donne à cette Église une sensibilité qui peut manquer dans les paroisses de tradition plus ancienne, souvent caractérisées par une certaine mentalité "nationaliste"».

Quelles sont les principales difficultés de votre Église?  

« Comme je le mentionnais il y a quelques instants, une des plus grandes difficultés que nous rencontrons est celle de maintenir l’unité dans la diversité. La tentation de se replier dans son groupe linguistique ou culturel est un risque réel pour nos fidèles. Je considère toutefois important qu’il n’y ait qu’un évêque pour tout le troupeau : ainsi nous sommes grandement protégés du risque de « tribalisme ecclésiastique » qui très souvent ne parvient pas à regarder plus loin que le bout de son nez. Un autre problème, qui est un défi pour nous les pasteurs, est la "condition artificielle de célibataire" qui caractérise la majorité de nos fidèles; ils sont mariés, mais séparés du conjoint qui est demeuré au pays. Ce fait amène des problèmes affectifs et des comportements qui ne sont pas exemplaires et qui demandent que nous leur fassions face. Un autre est celui de l’injustice à laquelle beaucoup de nos fidèles sont confrontés : les aider de la meilleure façon possible sans entrer en conflit avec les autorités civiles ou avec les employeurs est un devoir très prenant et délicat.   Être une Église constituée exclusivement de migrants signifie vivre dans une insécurité constante, dans le provisoire : si la situation économique ou même politique des gouvernements change, les effets se font immédiatement sentir dans nos communautés. Il peut arriver que de nombreux fidèles perdent leur travail du jour au lendemain et doivent alors quitter le pays ».  
 
Vous dites que l’Église de demain « sera une Église du touchant et du "se laissant toucher", ou bien elle ne sera pas ». Que voulez-vous dire par là?   

« Les structures de l’Église sont nécessaires, mais, selon moi, ce qui sera décisif pour l’Église de demain c’est les liens entre les fidèles. Il est nécessaire qu’à l’intérieur de la communauté les rapports deviennent moins institutionnels et plus personnels, humains. Quand je parle d’une "Église du touchant et se laissant toucher", je pense à Jésus qui ne craignait pas de se compromettre avec les exclus de son temps. Le Pape François nous rappelle constamment que seule une Église qui quitte sa sécurité et a le courage d’aller vers les périphéries sera vivante et vivifiante ».
 
Quelles sont les douleurs et les joies les plus grandes que vous avez expérimentées durant ces années à la tête du vicariat?  

« Les joies surpassent les douleurs. Je pense à la foi et à l’enthousiasme de nos fidèles, à l’engagement pris par des centaines de femmes et hommes dans nos communautés, à la ferveur et à la fidélité des prêtres et des religieuses, aux grandes célébrations eucharistiques solennelles regroupant des milliers de personnes. Parmi les douleurs, je cite les difficultés, parfois insurmontables, pour réaliser les nombreux projets que j’ai en tête, les longues et fatigantes procédures pour obtenir les permissions dont nous avons besoin, l’égoïsme de quelques groupes de fidèles et qui donnent des situations conflictuelles. Souvent, je me sens comme saint Paul avec ses communautés : plein de gratitudes et de joie en regardant leur foi et, en même temps, je me sens épuisé par les efforts accomplis afin de surpasser les conflits internes. Je suis un ouvrier dans la vigne du Seigneur et je sais que c’est lui qui fait croître les fruits : je continue donc avec sérénité ».

Source : Paul Hinder, un vescovo in Arabia pastore di migranti


 

Un vescovo in Arabia. La mia esperienza con l’Islam

Paul Hinder book« Blanc ou noir, et c’est tout : cela ne marche pas ainsi. Et surtout, aucun dialogue ne marche comme cela. L’analyse des différences est l’ennemi de l’émotivité spectacle et de la mobilisation. Lorsque l’on vit dans une région comme la nôtre, tout devient alors plus relatif, parce que nous faisons d’autres expériences ». Depuis 2003, Paul Hinder est évêque de la Péninsule arabique, terre sacrée pour tout musulman, car c’est ici que Mahomet a fondé la religion inspirée du Coran. Dans les pages de ce livre, pour la première fois un évêque catholique raconte ce qui signifie vivre en tant que chrétien dans les pays gouvernés par les cheiks des pétrodollars, où la foi islamique imprègne tous les aspects de la vie et où n’existe pas la liberté religieuse, mais seulement la liberté de culte. Le témoignage de l’évêque Hinder est précieux, car il raconte en direct les difficultés, les espoirs et les gains de ce dialogue entre chrétiens et musulmans et qui reste une clef pour la paix dans le monde. Étranger à toute superficialité face au dialogue interreligieux, réaliste quant à l’articulation d’une cohabitation socioreligieuse qui interpelle aussi l’Occident, Hinder offre un exemple de cet optimisme de l’espoir de qui vit la foi chrétienne comme raison de vivre. Ce qui fait qu’il n’a pas peur de l’autre et n’a pas honte de sa propre tradition religieuse.

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Dernière modification le jeudi, 22 novembre 2018 16:43